On vous avait promis une saison 3 pleine de nouveautés. On a commencé en accueillant près de 20 nouvelles émissions – à découvrir ici. On poursuit le pari de vous surprendre encore et encore avec des dossiers faits avec Amour par notre incroyable équipe. Et pour lancer les hostilités, Auguste Bergot a mis le cap vers l’Orient pour présenter une scène en pleine ébullition, celle du hip-hop nippon. Un tour d’horizon en mots, en sons et en passions.
On ne va pas se mentir : l’archipel japonais n’est pas vraiment connu pour sa scène hip-hop prolifique. On l’assimile bien plus volontiers à la J-Pop fantasque, au J-Rock mielleux ou au « J-métal » bien gras. Et pourtant, on ne pourrait être plus dans le faux. A l’image de son ainé le jazz, le hip-hop japonais s’est simplement développé en toute discrétion, a pris le temps de mûrir, et n’a aujourd’hui certainement plus grand-chose à envier à ses voisins outre-Pacifique.
Bien sûr, on connaît quelques grands noms de cette scène relativement opaque : DJ Krush, Nujabes, et pour les plus avisés peut-être DJ Honda et DJ PMX. Mais elle n’est aujourd’hui plus aussi balbutiante qu’au début des années 90 et beatmakers aussi bien que MC fleurissent sur l’archipel.
Malgré quelques expérimentations menées par le Yellow Magic Orchestra et Ryuichi Sakamoto dès les années 80 (on pense par exemple au titre “Rap Phenomena”), le hip-hop japonais n’a connu son véritable essor qu’à la fin des années 1990. Les rappeurs commencent alors à adopter des thématiques propres à la société japonaise et à se défaire de l’influence américaine en généralisant le rap en VO. Bref, on se défait des racines afro-américaines et on se réinvente, avec sagesse :
« Dans les jeunes herbes
Le saule
Oublie ses racines » (Yosa Buson)
Voilà donc que, comme le bon whisky vieilli en fût de chêne, le hip-hop japonais a eu le temps de gagner en intensité et de se forger une esthétique propre. A l’image de la lo-fi à laquelle on le réduit malheureusement trop souvent, on reste souvent proche de ces estampes rythmiques plus suggérées qu’appuyées. Pour autant, la scène nippone affiche aussi tout un amour pour le boom-bap bien old-school qui a de quoi ravir les nostalgiques de l’underground.
Fort heureusement, l’histoire semble sur le point de mettre un coup de projecteur sur cette infortunée zone d’ombre. Après des décennies d’anonymat, la scène hip-hop made in Japan commence à s’internationaliser et les collaborations qui se dessinent ont de quoi exciter les papilles. Et même quand on ne comprend rien aux textes, on se laisse bercer sans résistance par le langage universel du flow et l’ambiance de ces prod dopées aux arts martiaux. Petit tour d’horizon de ces orfèvres en pleine ébullition.
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DJ Krush
On ne présente plus ce grand monsieur passé du gang aux platines après une séance de ciné (bien sûr, ce n’était pas un Disney mais l’incontournable du genre Wild Style). Il a plus de 15 albums à son effectif, dont plusieurs qui trônent déjà parmi les classiques, et en particulier son album avec le trompettiste Toshinori Kondo qui aurait sans aucun doute fait honneur à Miles Davis. Après une carrière majoritairement internationale, il signe avec Kiseki (2017) un album exclusivement composé de collabs avec des rappeurs de sa terre natale.
DJ Mitsu the Beats
Avec un nom pareil, pas moyen de se tromper, on a affaire avec un Samouraï. Son senseï ? J Dilla à qui il a consacré deux albums hommage (Celebration of Jay). Il fait partie des rares noms de la scène hip-hop japonaise à s’être rapidement internationalisé et a notamment composé avec Mark de Clive-Lowe et José James. Il a également fondé le label bien-nommé Jazzy Sport (dont on recommande chaudement l’écoute de l’album Vanta Black avec son groupe Gagle, une vraie perle).
Tajima Hal
Directeur du label indépendant japonais Hermit City Recordings, on doit à Tajima Hal la compilation absolue de ce qui se fait de mieux sur la scène hip hop nippone actuelle. S’il garde une ambiance assez lo-fi dans ses albums solo, il renoue dans Thin Lines (2019), accompagné du beatmaker TOSHIKI HAYASHI (%C) et du MC Basho, avec un côté plus underground.
Sweet William
Des instrus avec un tel relief on aimerait en voir plus souvent. Pas moyen de s’ennuyer avec ce petit génie du Label Pitch Odd Mansion, c’est l’umami mis en musique, une sorte de saveur insaisissable qui jongle entre les basses bien grasses, les scratchs et les samples phasants.
BudaMunk
Il dépose ses valises à Los Angeles à l’âge de 16 ans et essaime les clubs en affutant ses vinyles. Quand il rentre au Japon en 2006, il a déjà gagné un concours de DJing et s’empresse d’en gagner un second. BudaMunk porte bien son nom : on est sur du hip-hop qui parle autant à l’esprit qu’au corps et qui nous fait croire en la réincarnation. Avec Movin Scent’ on n’est plus très loin du chemin vers l’Eveil. On ne compte plus les collaborations avec les non moins talentueux ISSUGI et Kid Fresino.
Ill Sugi
Avec ses 3 à 4 sorties d’album par an, Ill Sugi est peut-être le beatmaker le plus prolifique de l’archipel. Et malgré ça, on en redemande. Il sort en 2016 avec son partenaire de toujours Budamunk l’album Spirit of the Golden Era, à mi-chemin entre l’ode au siècle d’or du hip-hop underground et du pamphlet contre le rap commercial.
lee (asano+ryuhei)
Pas de doute là-dessus, ce jeune beatmaker masqué aime les rythmiques déconstruites qui grattent un peu. Plasticien de la musique, il travaille ses samples comme un menuisier son bois avec autant d’élégance que de force. On attend la suite avec impatience.