Cheb

Sma' Balak disque de la semaine du Grigri du 15/02 au 21/02


Sma’ Balak (Autoproduit/Bandcamp)

Vous ne le connaissez sans doute pas. Et pour être franc, nous non plus. Il y a encore quelques jours, on n’avait jamais entendu parler de CHEB avant de tomber par hasard sur cet épatant Sma’ Balak sur Bandcamp. Et pourtant ce trentenaire marocain frôle le demi-million d’abonnés sur YouTube où ses vidéos ont cumulé plus de 40 millions de vues. Rien que ça. Mais voilà, Nabil El Amraoui est un jeune homme profondément indépendant. “Je travaille tout seul, sans manager, sans studio, sans label, sans équipe de communication, je travaille de manière artisanale et j’espère rester comme ça” nous explique-t-il par mail. Une philosophie forcément attachante et intrigante, qui explique sans doute beaucoup de la fraicheur qui se dégage de son troisième album.

“J’écris, je compose, j’arrange, je joue, j’enregistre, je mixe et je fais mes clips, tout seul de A à Z, chez moi dans le salon. Je travaille sur la musique Chaâbi comme je la vois et sur toute une culture marocaine dissimulée et snobée par le régime et « l’élite » intellectuelle marocaine” raconte-t-il. Dans cette liberté, dans ce côté faussement foutraque, dans cette démarche DIY, dans cette rebellion discrète mais franche, on pense au Brésilien Tom Zé ou aux premières chansons dérangées du duo Brigitte Fontaine/Areski, mais aussi aux sonorités défendues par le label Habibi Funk. En fait, CHEB fait penser à tous ces artistes qui dynamitent tranquillement les musiques folkloriques à grands coups de psychédélisme bien placé (cf. les envolées synthétiques de “Ajmal Balad Fi Al Alam”). Dans son cas, ça donne un blues oriental rempli d’espaces acoustiques, d’envolées électriques et des croisements entre oud et synthés.

Pas étonnant que le DJ et producteur marocain Guedra Guedra parle de sa musique comme d’un “anarchisme poétique”.

Mais ce n’est pas tout. Car certes la forme est belle, inventive, séduisante. Mais le fond aussi. À tel point que le jeune homme raconte dans cette passionnante interview qu’il lui arrive très souvent de se faire insulter pour ses paroles. Avant d’ajouter: mais au final, si personne ne se plaignait de lui, ça signifierait qu’il ne fait pas quelque chose de bon. Comme il chante un mélange entre l’argot des villes et la langue des campagnes, certains de ses fans ont traduit ses mots en anglais. Et sur le splendide “Hna El Caramel”, on apprend donc que CHEB chante: “We’re the disobedient, we’re the poetry / We’re the lunatics, we’re the caramel / We’re the ones who sold their lifespan and bought the night / We sold the sun for pennies and gave it to the first optismist”.

Pas étonnant que le DJ et producteur marocain Guedra Guedra parle de sa musique comme d’un “anarchisme poétique”. Comme si CHEB rassemblait la fronde des Sex Pistols et la folie douce d’un Beck. D’ailleurs, son modèle assumé, c’est le fils de Fairouz, le génial compositeur libanais Ziad Rabhani dont l’esprit se fait entendre dans les cuivres aériens de “Dwaqa Wlla… Ghellaqa?” ou le groove tendu de “Reklam”. Autre cousin de son: le Palestinien Tamer Abu Ghazaleh. À une seule différence près: Ghazaleh est passé par le prestigieux Edward Said Conservatory de Ramallah, tandis que CHEB a appris la musique sur “la guitare pourrie sans cordes trouvée dans la chambre de [s]es grandes sœurs”.

Ça fait à peine trois ans que le natif de Rabat poste ses chansons sur Internet et elles ont déjà un air de classiques du “post-chaabi” pour reprendre ses propres mots. Tout seul dans son coin, le jeune Marocain a tout compris du YouTube game et habille ses chansons de vidéos fascinantes. CHEB, il nous l’a précisé, ça signifie “le jeune” en dialecte marocain. Mais ça montre aussi la volonté du garçon de laisser parler sa musique plus que lui. S’appeler CHEB, c’est comme être anonyme dans le monde des musiques du Maghreb. Point de culte de la personnalité: ce n’est pas lui qui nous chante ses chansons. Ce sont ses chansons qui nous (en)chantent quelque chose.

Mathieu

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