FlySiifu’s (Lex Records)
Il y a parfois des disques qui sont plus Grigri que Le Grigri. FlySiifu’s en fait partie et chacun de ses titres aurait sa place dans la prog de la radio. Il suffit juste pour s’en coinvaincre de jeter un coup d’oeil aux visuels affichés derrière Pink Siifu et Fly Anakin sur la pochette: on reconnaît Billie Holiday ou Stevie Wonder, on aperçoit le Madvillainy de MF Doom et Madlib, le Seeds de Georgia Anne Muldrow (produit par Madlib soit dit en passant) ou encore le Southernplayalisticadillacmuzik d’Outkast. Quant aux invités du duo, ils parlent aussi d’eux-mêmes: la Texane Liv.e (récemment intronisée disque de la semaine pour son Couldn’t Wait To Tell You…), le Californien mejiwahn ou la légende Madlib (encore lui), autant de noms habitués des sélections du Grigri.
Mais alors, qu’est-ce qu’un son plus Grigri que Le Grigri? C’est du hip-hop soulful et des prods qui s’inspirent des architectures épurées à la J Dilla. C’est des basses, des guitares et des pianos, à l’instar de “Dollar Dr. Dream” qui clôture comme un symbole le récit – et parfois même avec des cuivres en supplément comme sur le très jazz “Waiting To Get Shot”. C’est aussi du storytelling bien foutu: FlySiifu’s, c’est le nom d’un magasin de disques imaginaire dans lequel nos deux MC travailleraient et qui sert ainsi de décor à cet album-concept.
Et puis, c’est, bien entendu, de l’humour bien gaulé. Et ce n’est pas pour rien si on trouve un morceau baptisé “Richard Pryor” ou si l’une des influences assumées du duo est à chercher du côté d’Atlanta: non seulement Outkast fut l’un des duos les plus drôles de l’histoire du rap, mais l’un de leurs chefs-d’oeuvre, Aquemini, a directement influencé FlySiifu’s. Grands spécialistes du skit, ces pastilles à mi-chemin entre le sketch et l’interlude, Andre 3000 et Big Boi avaient par exemple mis en scène un dialogue entre un client et un dealer de disque sur “Return of the « G »“, une manière pour eux de se moquer des critiques qu’ils avaient essuyées sur leur disque précédent, ATLiens.
Fly Anakin et Pink Siifu accouchent d’un disque qui a le charme, la fraicheur et la fougue des premiers films. A tel point qu’on verrait bien l’apôtre du DIY, Michel Gondry, réaliser un long métrage sur ces deux vrais-faux bras cassés vendeurs de disques
Grâce à ces skits, grâce à ce fil conducteur, grâce à tous ces beaux esprits qui leur tournent autour, Fly Anakin et Pink Siifu accouchent d’un disque qui a le charme, la fraicheur et la fougue des premiers films. A tel point qu’on verrait bien l’apôtre du DIY, Michel Gondry, réaliser un long métrage sur ces deux vrais-faux bras cassés vendeurs de disques, une sorte de Be Kind Rewind du shop à vinyles. Grands défenseurs du spliff (on en voit beaucoup dans leurs clips et on trouve sur Internet une photo de Fly Anakin avec Madlib et un nuage de beuh), le duo réussit aussi parfaitement à distiller les tracks bien trippantes comme “Razberry” ou “Mind Right”.
Figures de l’underground rap US – Fly Anakin est un pilier du crew de Virginie, Mutant Academy, tandis que Pink Siifu enchaînent les albums bien barrés à l’instar du très punk NEGRO sorti en début d’année -, les deux rappeurs se sont comme poussés l’un l’autre dans leurs retranchements avec ce projet. Comme si Pink Siifu était devenu un peu plus “posé” et Fly Anakin un peu plus “chelou”. Quand on les entend pouffer comme des gosses sur “The Demon Tyme Skit” ou quand on les voit se marrer sur leurs clips, on a l’impression de surprendre une vraie joie de jouer ensemble. Et c’est peut-être ce qui rend ce disque si charmant.