Au Grigri, on préfère mettre en avant les nouveautés et les artistes de maintenant. Mais certains labels font un tel boulot pour redonner vie à des chefs-d’oeuvre parfois méconnus, parfois introuvables qu’on se doit aussi de leur filer un coup de chapeau. D’autant que ces disques trustent souvent nos coeurs et nos platines. La preuve cette semaine avec quatre rééditions, quatre histoires, quatre époques, quatre aires musicales racontées par les quatre mousquetaires du Grigri en personne.
Luiz Carlos Vinha
O Som Psicodélico De L. C. V.
Label: Mad About Records (1968/2020)
Il n’est pas le plus connu des musiciens brésiliens, mais dès qu’on trouve son nom sur un album, ça banque illico. Samba Esquema Novo, le premier chef-d’oeuvre de Jorge Ben, c’est lui au piano. La directeur musical du Maria Bethânia éponyme de 1969, c’est toujours lui. Les géniaux groupes The Bossa Três ou Meirelles E Os Copa 5, c’est encore lui. Quant à son entêtant “Yê Melê” dévoilé pour la première fois sur ce O Som Psicodélico De L. C. V ., il a ensuite été repris par Elis Regina, Sergio Mendes ou même Thievery Corporation. Né en 1940 à Rio et disparu en 61 années plus tard au même endroit, Luiz Carlos Vinhas fut non seulement l’un des plus puissants propagateurs de la bossa nova naissante, mais aussi l’un de ses premiers réformistes. Second album de sa carrière solo quatre ans après le magnifique Novas Estruturas, O Som Psicodélico De L. C. V . en est un parfait exemple: gorgé de jazz (“Song for My Father” de Horace Silver), blindé de clins d’oeil à la France (le charmant “Un Jour Christine”), traversé par des instants pop (le fameux “Can’t Take My Eyes Off You”), annonciateur de Tom Zé (c’est flagrant sur “O Dialogo”), O Som Psicodélico De L. C. V . sonne comme le cultissime Big Band Bossa Nova de Quincy Jones mais en plus fou, en plus crade, en plus dévergondé (cf. l’incroyable medley “Pourquoi / Arrasta A Sandália / Morena, Boca De Ouro / Rosa Morena”). Un disque jouissif réédité pour la première fois depuis 1968 par les Portugais de Mad About Records. Mathieu
Marcy Luarks & Classic Touch
Electric Murder
Label: Kalita Records (1983/2020)
Kalita Records n’aura pas chômé cette année. Après la funky réédition de Cross Island et le titre bien sunshine de Jeannette Ndiaye (dont la version éditée par Mr Mendel ravira toutes les jambes en manque de dancefloors), le label londonien passe au long format avec l’album Electric Murder de Marcy Luarks & Classic Touch. Véritable pépite d’or pour les diggers, on peut encore en trouver quelques copies originales à un prix totalement exorbitant (comptez au moins 4 chiffres). Mais grâce à Kalita, ce saint graal est maintenant accessible à bout de clic et sans avoir à prévenir votre banquier. Enregistré en 1983 dans un studio de Londres, ce sera le seul et unique album produit par la chanteuse nigériane sur le petit label Din-O-Mite Records. La formule est simple et même décrite à travers la tracklist : “Funky Boogie Woogie”, “Electric Murder” ou encore “Shake”. Voilà, vous l’aurez compris, ce disque va faire bouger des culs avec ses rythmes funky, boogie et africains. Et pour les moins sensibles aux basses qui tabassent, vous pourrez vous consoler avec les deux très belles balades “I Don’t Want To Share Your Love” et “April Girl”. Guillaume
Marvin Pontiac
The Asylum Tapes
Label: Northern Spy (2017/2020)
Né en 1932 d’un père malien et d’une mère juive, Marvin Pontiac grandit entre Bamako et Detroit avant de s’installer à Chicago puis au Texas. Il enregistre plusieurs titres au chant et à l’harmonica dès les années 50 puis sombre peu à peu dans la folie et l’oubli, jusqu’à la sortie d’un best of en 1999, The Legendary Marvin Pontiac, qui l’installe au rang de génie musical. Ça, c’est l’histoire que John Lurie souhaitait vous faire gober. Le musicien – leader et saxophoniste des Lounge Lizards, l’acteur – aperçu entre autres dans quelques films de Jim Jarmusch – et désormais peintre a en effet construit ce personnage de Marvin Pontiac pour s’essayer au chant tranquillement. Et après le succès de son bluff initial adoubé par Leonard Cohen en personne et marqué par les présences de David Bowie, Angelique Kidjo ou Iggy Pop, on n’osait pas croire à un nouvel opus de Marvin Pontiac/John Lurie. Et pourtant, en 2017, sort The Asylum Tapes, que Northern Spy Records édite pour la première fois en vinyle cette année. Recueil de 24 titres de 2 minutes ou moins, le disque convole du Mississippi à l’Afrique en un coup de banjo ou un souffle d’harmonica. Porté par les esprits de Captain Beefheart, John Lee Hooker, R.L. Burnside et Zappa, on navigue entre ovni de blues à l’humour décalé (“My bear to cross”, “Santa Claus”), à la mélancolie de travers (“I don’t have a cow”, “Beastliness”) ou à la folie assumée (“I am not crazy”, “I am not alone”). Autant vous dire que c’est exactement le genre d’histoires qu’on aime raconter au Grigri. Antoine
Asha Puthli
Asha Puthli
Label: Mr. Bongo (1973/2020)
“J’ai spirituellement 6 000 ans, mentalement 98 ans et émotionnellement 5 ans” affirme-t-elle. Derrière le trait d’humour, il y a une vérité : Asha Puthli est née dans la communauté des Brahmanes de Saraswat en Inde où l’on dit qu’il faut avoir au moins 6 000 ans d’existence avant de venir au monde. Aimant chanter l’amour autant que citer les préceptes du Rig-Veda, sa vocation artistique se confronte dans les années 1960 au poids du traditionnalisme. L’Inde des sixties lui refuse l’american dream pour lui promettre plutôt un avenir dans un mariage forcé. Heureusement, elle force le destin en intégrant comme hôtesse de l’air la British Airways, moyen d’obtenir un visa pour New York. Formée à l’opéra en musique classique, la chanteuse est attirée par le jazz : une musique si reliée à l’oppression des peuples qu’elle pressent pouvoir y conduire une résistance, celle des femmes, et y trouver même une forme de guérison. Sa participation au légendaire Science Fiction d’Ornette Coleman lui vaut de devenir l’une des figures du mysticisme disco du début des années 70. Une trajectoire hybride qui amènera sa voix jusque dans les grands hits hip-hop de Notorious B.I.G., Jay-Z, Redman ou encore 50 Cent. Dans la mythologie hindouiste des Gandharvas, l’artiste n’est autre que le médium du divin pour les mortels. Pour grimper au ciel, on a désormais la réédition au format vinyle de ce premier album éponyme d’Asha Puthli. Un chef-d’oeuvre de soul psyché produit en 1973 au Royaume-Uni et joliment pressé par Mr. Bongo. On y retrouve tout ce qu’on aime. C’est-à-dire tout ce qu’elle est. Emilie