Depuis qu’il a quitté BadBadNotGood quelques mois après la sortie de IV en 2016, le groupe canadien a perdu comme une étincelle, notamment dans leurs concerts, bien plus sages que par le passé. Pianiste et cofondateur du trio devenu quartet, Matthew Tavares était pour beaucoup dans la puissance de feu de cette imparable machine à groove jazz-hip-hop adoubée par Kendrick Lamar, Tyler The Creator ou Ghostface Killah. Parti (officiellement) sans heurts ni regrets, le garçon avait ensuite multiplié les projets solos sans véritablement trouver sa voie, comme s’il multipliait les croquis en vue de son grand-oeuvre. C’est maintenant chose faite avec cet impeccable Visions qui débarque sur un label d’ordinaire dévolu aux géniales rééditions africaines ou brésiliennes, Mr. Bongo. Et comme un symbole, c’est en retrouvant une partie de BBNG (le saxophoniste et flûtiste Leland Whitty) que Matthew Tavares retrouve de son panache, de sa grâce, de son envergure.
Porté par une intro dantesque (“Through The Looking Glass”, le chef d’oeuvre de l’album), Visions se révèle aussi acoustique, aérien et impressionniste que BadBadNotGood est/était synthétique, tellurique et hypnotique. On a même presque envie de dire qu’il sonne franchement “européen” là où BBNG est/était d’influence clairement africaine-américaine. A certains instants, on pense même à Louis Sclavis, Henri Texier ou John Surman, mais aussi à Debussy ou Satie. Quant au champ lexical du disque, on le croirait emprunté à Rimbaud: du titre Visions à “Awakenings” en passant par “Living Water Assembly”, tout se passe comme si Matthew Tavares et Leland Whitty lisaient les Illuminations pendant les trois jours d’improvisation qui ont donné cette belle heure de musique(s) tantôt furieuses tantôt célestes.
Mais la force de Visions, c’est qu’il n’est pas “que” jazz. Il déborde des lignes avec bonheur pour chercher des couleurs pop, post-rock, folk ou psyché. Des recherches qui ne sont pas sans rappeler les chansons sans paroles d’Alas No Axis au début des années 2000. Le genre de musique qui se vit, qui s’écrit et qui se crie live, comme le laisse supposer la pochette signée Jonathan Sherman: un public de festival dans le plus simple appareil, c’est-à-dire sans rien écrit dessus. Bref quelque chose qu’on est tous pressés de retrouver au plus vite avec, bien sûr, Matthew Tavares et Leland Whitty à l’affiche.
🇬🇧 Since he has left BadBadNotGood a few months after the release of IV in 2016, the Canadian group has somehow lost its a spark. Pianist and co-founder of the trio turned into quartet, Matthew Tavares was a big part of the firepower of this unstoppable jazz-hip-hop and groove machine. (…) As a symbol, it is by rediscovering a part of BBNG (saxophonist and flautist Leland Whitty) that Matthew Tavares is regaining his panache and his grace. (…) Carried by a dantesque intro (“Through The Looking Glass”, the masterpiece of the album), “Visions” is revealing itself as acoustic, airy and impressionistic as BadBadNotGood is/was synthetic, telluric and hypnotic. We could even say that it sounds frankly “European”; at certain times, you can think of Louis Sclavis, Henri Texier or John Surman, Debussy or Satie. (…) The strength of “Visions” is that it’s not « just » jazz. It happily spilling over other genre such as pop, post-rock, folk or psyche music