Pino Palladino et Blake Mills

Notes with Attachments, disque de la semaine du Grigri du 29/03 au 02/04.


Notes With Attachments (New Deal/Impulse !)


Ce qui est sûr c’est qu’on ne peut pas reprocher à Pino Palladino et Blake Mills d’avoir fait dans l’extravagance. La pochette de Notes With Attachments est d’une sobriété à toute épreuve, le titre purement descriptif, et la communication autour de sa sortie a été proche de zéro. Minimaliste, sobre, mystérieux donc, à l’image du contenu de cet album hors-norme. Et sans doute est-ce pour ces raisons que cette perle, qui pourrait aisément être sacré meilleur disque de jazz de 2021 so far, est passé complètement sous le radar de la presse musicale française.

Et pour cause, à moins d’être de fins connaisseurs, les noms de Pino Palladino et de Blake Mills ne vous disent sans doute rien. Pourtant, l’un et l’autre sont des musiciens d’exception qui ont joué aux côtés des plus grands. Palladino, c’est ce géant qui a été le bassiste des Who après la mort de Entwhistle en 2002, et qui a, entre autres, été le bassiste sur deux des albums les plus marquants de la néo-soul : Mama’s Gun d’Erykah Badu et Voodoo de D’Angelo. Blake Mills est également un homme de l’ombre. Guitariste et producteur, il a notamment joué pour Jenny Lewis et Fiona Apple et a déjà 3 albums solo à son actif (le dernier, Mutable Set, date de 2020 et est un petit bijou de folk aérienne).

En réalité, quand on regarde de plus près la liste des invités qui ont participé à l’album, on découvre toute une constellation d’artistes bien familiers des auditeurs du Grigri : le saxophoniste Sam Gendel, le batteur Chris Dave, le claviériste Larry Goldings, ou encore Jacques Schwarz-Bart. Et pourtant, ce disque devait être à l’origine le premier album solo du bassiste originaire du Pays de Galles. C’était du moins l’idée qui avait germé dans la tête de Blake Mills pendant l’enregistrement de l’album Darkness in Light de John Legend en 2016 auquel Palladino participait et dont Mills était le producteur. Le destin en a voulu autrement, et c’est tant mieux. Réunis pour discuter du projet, les deux artistes se sont retrouvés dans une sorte d’osmose créative rare qui a emmené les idées que Palladino mûrissait depuis bon nombre d’années dans une nouvelle dimension. 

Notes With Attachments, c’est un album qui laisse de l’espace. A tel point qu’on entend presque les doigts de Palladino courir sur la basse. C’est aussi un album qui explore « les fondations du rythme et de l’harmonie », qui est tout en subtilités et en nuances et pourtant qui frappe par l’intensité qui pénètre chaque note jouée et même chaque silence.

Après un travail monstrueux étalé sur deux ans et demi de sessions d’enregistrement aux célèbres studios de Sound City, Notes with Attachments avait enfin pris la forme qu’il devait avoir : celle de l’imprévu, de l’expérimentation et du génie brut qui s’est laissé transporté par l’émulation collaborative. Voyez plutôt la façon dont Mills décrit le processus de création de l’album : « Sur ce disque, il s’agissait souvent d’essayer d’identifier une sorte d’émotion ; et puis, avec respect, de ne pas répondre à ses sensibilités typiques, que ce soit stylistiquement, avec l’arrangement, avec le mix ou avec l’instrumentation. Une fois que nous avions senti quelque chose, nous commencions à nous diriger dans la direction opposée pour voir ce que nous pourrions trouver. » 

Partir des idées originelles, des émotions qu’on recherche, et nager à contre-courant pour dévoiler l’envers de ce qui avait été créé naturellement, voilà les fondements du projet. Le résultat a des allures minimalistes mais qui participent à sublimer une précision rythmique et un sens du groove effrayants. La distinction entre section rythmique et harmonique perd ici son sens : tous les instruments sont au service du groove, et, inversement, tout le groove est au service du son. Les signatures rythmiques et les ambiances sonores font comme un rappel discret aux inspirations afro-brésiliennes (Ekuté), sud-italiennes (Man From Molise), ou ouest-africaines (Djurkel) sans jamais sortir de cette esthétique unique qui fait la pâte de cette collaboration d’exception.

En bref, Notes With Attachments, c’est un album qui laisse de l’espace. A tel point qu’on entend presque les doigts de Palladino courir sur la basse. C’est aussi un album qui explore « les fondations du rythme et de l’harmonie », qui est tout en subtilités et en nuances et pourtant qui frappe par l’intensité qui pénètre chaque note jouée et même chaque silence. Ou, comme dirait Mills : « Je ne sais toujours pas quel genre de musique c’est. J’adore le fait que ce soit toujours un peu mystérieux pour moi. J’espère que cela sera mystérieux pour d’autres personnes aussi. »

Auguste Bergot

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