Sounds of Brelok (Green Lab Records/Musea)
La seule chose qu’on puisse reprocher aux Space Galvachers, c’est leur choix vestimentaire. Ils pourraient d’ailleurs intégrer sans souci la page Facebook Chemises Jazz qui témoigne de l’amour des improvisateurs du monde entier pour les motifs fleuris et/ou (trop) colorés. Malgré tout, on voit bien l’esprit: avec ce projet, la triade Clément Janinet-Clément Petit-Benjamin Flament invite à voyager dans tous les sens du terme. Ils enfilent donc la tenue du touriste: lunettes de soleil, camisetas estivales et regards vers l’horizon. Mais comme l’habit ne fait pas le moine – ni le musicien – ces chemises “décalées” pourraient induire l’auditeur en erreur avant de se plonger dans Sounds of Brelok, l’un des disques les plus originaux et osés de cette si spéciale année 2020.
Pourquoi? Déjà parce que les Space Galvachers ne sont pas des rigolos. Membres d’un des groupes séminaux de la scène française des années 2000 (Radiation 10), ils ont tous les trois traîné leurs shirts dans moult projets vivifiants: Clément Janinet dans O.U.R.S. (loué par Le Grigri), Clément Petit avec Blick Bassy (diffusé par Le Grigri) et Benjamin Flament avec le quartet Alphabet de Sylvain Rifflet (adoubé par Le Grigri). Bref, tous les trois font partie des improvisateurs qui ouvrent grands les bras et au lieu de se fermer les portes.
Parfois, on ne sait plus qui du violon, du violoncelle ou des percussions tient la mélodie et tout se brouille comme dans un rêve bien foutu
Et puis ce disque n’a rien de “marrant”. Au contraire, il est sérieux dans le sens le plus ambitieux du terme. Avec leurs instruments préparés, trafiqués, “pimpés”, le trio tisse des sonorités à nulle autre pareille. Parfois, on ne sait plus qui du violon, du violoncelle ou des percussions tient la mélodie et tout se brouille comme dans un rêve bien foutu. Dans le monde du jazz, on parlerait d’interplay au top. Dans le monde des chemises à couleur unie, on évoquerait une alchimie magnétique. Enfin, dans le monde des araignées (on les salue), on louerait leurs admirables toiles faites de bric, de broc et de cordes.
Profondément cosmopolite et imaginaire, le voyage que propose les Space Galvachers abolit littéralement les frontières. Sur “Quadrille aux étoiles”, il est impossible de savoir si on est en France (à cause du titre), au Mali (à cause de cette distorsion à la Ali Farka Touré) ou en Indonésie (à cause de ces sonorités proches du Gamelan). Et c’est là qu’on comprend mieux les chemises de pochette: les trois Frenchies se présentent certes dans une mise en scène digne d’astronautes hollywoodiens mais sans combinaisons spatiales. Parce que leurs sonorités cosmiques, ils les bidouille, tels des paysans (c’est-à-dire des galvachers), avec des instruments faits main.
C’est ce constant jeu d’opposition(s) entre minimalisme à la Steve Reich, free jazz et folklores du monde entier qui rend Sounds of Brelok aussi beau et déstabilisant. D’où notre titre chouchou, “Fractal coconut” (en VF, une sorte de poupée russe sous forme de noix de coco), qui sonne comme si Christopher Nolan tournait un thriller sur une île déserte aux Caraïbes. Si ça arrivait, on lui conseille donc d’embaucher les Space Galvachers pour la B.O.