Silver Ladders (Ghostly International)
Mary Lattimore aime les chiens, les histoires et les voyages. Ses disques en sont remplis. Tout comme les titres solitaires qu’elle distille au compte-goutte sur son Bandcamp (cf. le magnétique Introvert divulgué pendant le premier confinement). Mais la Californienne aime surtout expérimenter, chercher, tester avec son instrument de prédilection, la harpe. Depuis l’inaugural The Withdrawing Room en 2012, tous ses disques ressemblent à des périples à la Ulysse: elle part à l’inconnu avec ses cordes et ses pédales, puis se laisse porter par les flots de l’imagination. Il y a vraiment quelque chose de la marée, de la vague, de la houle dans sa musique. Du grand air, du grand bleu, de la grand-voile – on s’arrête là avant que cette chronique ne ressemble à un duo Céline Dion-Garou, mais vous voyez l’esprit.
Sorti il y a quelques semaines sur le très original label new-yorkais Ghostly International, Silver Ladders ne déroge pas à la règle. Mieux: il parfait la tendance océanique de cette John Fahey de la harpe. Que ce soit par ses titres (formidable “Til A Mermaid Drags You Under”, épopée de plus de dix minutes) ou par ses histoires: l’éponyme “Silver Ladders” est inspiré par un trip en Croatie, sur l’île de Hvar, tandis que “Don’t Look” s’inspire d’une tragédie survenue sur une plage de surfeurs. Mais aussi par son contexte: le disque a été enregistré dans le studio du guitariste Neil Halstead à Newquay, une station balnéaire et un port de pêche de la côte Atlantique des Cornouailles, en Angleterre.
Ambient onirique? Folklore boréal? B.O. intimiste? Transe tranquille? Il y a de tout ça dans le nouveau disque de la harpiste de Los Angeles.
Et c’est ce dernier détail qui rend la figure de Mary Lattimore si étonnante et atypique. Car l’hôte en question fait partie de Slowdive ou Mojave 3, deux pièces maitresses du rock underground britannique. Et il apporte une vraie (et légère) touche noise aux rêves aquatiques de la harpiste (cf. les turbulences de “Chop on the Climbout”). Cette alliance rappelle aussi à quel point la Californienne appartient presque davantage au monde de la folk chelou qu’à la sphère new age. Il suffit de se souvenir qu’elle a participé à l’étonnant Demolished thoughts de Thurston Moore, que son précédent album a été remixé par Jónsi de Sigur Rós ou Julianna Barwick et qu’elle a collaboré avec Yo La Tengo, Sharon Van Etten, Meg Baird, Steve Gunn, Jarvis Cocker, Arcade Fire, Kurt Vile ou encore Mac McCaughan de Superchunk.
Ambient onirique? Folklore boréal? B.O. intimiste? Transe tranquille? Il y a de tout ça dans le nouveau disque de la harpiste de Los Angeles. Mais il y a surtout une vraie patte, on aurait envie de dire un “style” tant son oeuvre a quelque chose de littéraire – elle avait d’ailleurs baptisé son premier disque pout Ghostly International en 2016, In The Dam en référence à Joan Didion. Et deux ans après le déjà très réussi Hundreds of Days dont la présentation commençait par cette phrase romanesque « It was the most beautiful summer of my life », Silver Ladders poursuit et parfait la poésie “lattimorienne”. Les deux disques se ressemblent comme des livres de Modiano qui sont à chaque fois, ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre. Bref, Mary Lattimore est bien plus qu’une harpe qui compte, c’est une artiste qui conte.