Que pouvait-il bien y avoir dans le biberon de Kendrick Lamar pour qu’il devienne l’un des plus grands rappeurs de ces dernières années, le seul à avoir reçu le prestigieux Prix Pulitzer? C’est l’une des questions que pose le journaliste Nicolas Rogès dans son passionnant De Compton à la Maison Blanche. Grâce à lui, on vous donne quelques éléments de réponse plus un mix spécial gorgé de lactose.
Comment K-Dot, jeune rappeur californien né en 1987, est-il devenu à peine trente ans plus tard un artiste adoubé par Dr. Dre, Barack Obama et le Prix Pulitzer? C’est l’une des questions que pose Nicolas Rogès dans Kendrick Lamar, De Compton à La Maison Blanche. Et l’une des originalités de son ouvrage publié aux éditions Le Mot et Le Reste, c’est qu’il brosse moins le portrait d’un jeune homme en artiste que l’histoire d’une ville et d’un label.
Expliquons-nous: certes Nicolas Rogès revient évidemment sur le parcours initiatique de Kendrick Lamar, certes il dissèque ses disques, ses paroles, ses instrus. Certes il abonde en précieuses anecdotes – celle où tout l’entourage du rappeur raccroche au nez de Dr. Dre parce qu’ils pensent que c’est un canular vaut le détour. Mais, c’est classique dans ce genre de biographie. Non, ce qui est fort dans ce livre, c’est qu’il peint un véritable tableau de la ville de Compton, banlieue de Los Angeles qui a vu naître le gangsta rap avec l’émergence de légendaire N.W.A., the groupe de Dr. Dre. Comme si Nicolas Rogès ne se plongeait pas seulement dans le destin d’un homme, mais dans la vie foisonnante et la sociologie fascinante de toute une scène. Et au centre de cette ville, l’étonnante histoire du label (ou plutôt devrait-on dire du clan, dans le sens familial du terme) qui a construit la carrière de Kendrick Lamar: TDE pour Top Dawg Entertainment.
C’est grâce à ces deux « mamelles » (Compton et TDE) qu’on peut vraiment comprendre le phénomène de ce rappeur aussi populaire qu’intello. Un type qui aurait pu délaisser “sa” ville une fois le succès arrivé, mais qui ne l’a jamais lâchée, comme en témoignent ses clips. En remettant clairement Kendrick dans son contexte (mais aussi l’église au centre du village, à savoir TDE au centre de Compton), Nicolas Rogès ne tombe pas dans le piège de la mythification ou de l’hagiographie. Au contraire, il n’a de cesse de répéter et de montrer que le secret du crew TDE, c’est le boulot, le boulot, le boulot. Ils n’innovent pas: ils peaufinent. D’où la citation de Terrace Martin qui résume bien la pensée du livre: « Les esprits du jazz et du hip-hop se sont liés et ont fait un bébé, et ce bébé, c’est Kendrick Lamar. C’est le meilleur non pas parce qu’il est le meilleur rappeur, mais parce qu’il a une vraie compréhension de l’histoire de la musique. »
La lecture de Kendrick Lamar, De Compton à La Maison Blanche nous a ainsi donné envie de concocter un mix à partir des morceaux qui ont construit le rappeur de Compton selon Nicolas Rogès. Ce ne sont pas les seuls, évidemment, mais ce sont ceux qui nous ont marqués. Jerry Butler et Al Green symbolisent par exemple la fascination du jeune Kendrick pour le film Menace II Society dans lequel il voyait une sorte de reconstitution de sa vie. The Temptations, c’est bien sûr parce que le rappeur de Compton doit son prénom au chanteur soul Eddie Kendricks. “F.T.P.” de X-Clan ou “Lil’ Ghetto Boy” de Dr. Dre l’ont marqué parce que ses parents les écoutaient à la maison. Le There’s a riot goin on de Sly and the Family Stone, c’est le disque qu’il écoutait beaucoup pendant la gestation de To Pimp A Butterfly tandis que le Blonde de Frank Ocean, c’est celui qui tournait en boucle pendant les sessions de DAMN.
Pour les autres, on vous invite fortement à vous plonger dans la lecture de Kendrick Lamar, De Compton à La Maison Blanche pour en découvrir la symbolique. Les passages sur la manière dont Kendrick s’identifie à 2Pac ou sur les circonstances de sa découverte du A Love Supreme de Coltrane sauront vous surprendre. Voici donc les 13 titres qui, selon nous, ont biberonné l’âme de Lamar. L’écoute intensive de ce mix nous transformera-t-elle tous en Kendrick? L’histoire le dira.
Tracklist
-
The Isley Brothers – That Lady, Pts. 1 & 2
-
X-Clan – F.T.P.
-
The Temptations – Cloud Nine
-
2Pac – How Do U Want It
-
Sly and the Family Stone – Just Like a Baby
-
Dr. Dre – Lil’ Ghetto Boy
-
Jerry Butler – Only The Strong Survive
-
DMX – Get At Me Dog
-
Frank Ocean – Pink + White
-
Juvenile – 400 Degreez
-
John Coltrane – A Love Supreme, Pt. I – Acknowledgement
-
Al Green – Love and Happiness
-
Hot Boys – Ridin’