Pour raconter cette épopée tragique, le réalisateur a choisi de s’appuyer sur l’enquête journalistique passionnée qui a été menée par Linda Lipnack Kuhel pendant près de 10 ans. Des centaines d’heures d’enregistrement des proches de Billie Holiday forment la trame du film-documentaire et, à défaut d’images d’archives (il n’existe que très peu de photos, quasiment aucun film et presque plus aucun témoin vivant), ce sont les récits de Jo Jones, Tony Benett, Charles Mingus, John Hammond ou encore Count Basie qui font la chair de ce film.
C’est donc à travers les yeux de la jeune journaliste que nous suivons les traces (parfois contradictoires) de la vie de Billie Holiday. En effet, le documentaire prend le parti de mêler les destins des deux femmes : le travail biographique mené par Linda finit par dévorer toute sa vie. Incapable de dépasser l’énigme « Billie », elle repousse sans cesse l’échéance de la publication de son roman. Elle se lie d’amitié avec certains proches de la chanteuse et meurt tragiquement en 1978 alors qu’elle se rendait à un concert de son ami Count Basie, laissant derrière elle une décennie de travail.
Le film laisse entendre que l’hypothèse du suicide retenue par la police est improbable. Ce serait bien plutôt son enquête acharnée qui l’a menée à flirter avec le milieu de la drogue, du proxénétisme et de la mafia (qui était le milieu dans lequel évoluait Billie Holiday) qui lui aurait coûté la vie. A nouveau, le mystère demeure entier. Mais James Erskine lui rend ici un bel hommage, à l’instar de Julia Blackburn qui avait achevé le travail biographique de la journaliste à partir de ses archives tombées dans l’oubli.
Derrière ce puzzle insolvable que nous livrent James Erskine et Linda Kuhel se détache tout de même en toile de fond le profil sombre de Billie Holiday : une vie de misère et de tristesse ponctuée par son viol lorsqu’elle avait 11 ans, la prostitution, ses amants violents, son addiction à l’héroïne et à l’opium, la violence d’une Amérique ségrégationniste – qui se bousculait pour voir la chanteuse sur scène mais refusait de la servir, de la loger ou même de la faire entrer sur scène autrement que par l’entrée de service.
Mais au-delà de cette tragédie en 5 actes, le documentaire fait aussi la part belle à la force de cette artiste hors du commun qui a été la première, avec « Strange Fruit » à faire résonner un protest song dans les clubs de jazz huppés, qui n’hésitait pas à briser des verres sur le crâne de ceux qui lui manquaient de respect, qui multipliait les conquêtes hétéro comme homosexuelles ou encore qui avait cette façon si particulière de sublimer les textes et qui faisait dire à Jack Kerouac, parlant de « Lover Man » : « Ce ne sont pas tant les paroles que la mélodie, les harmonies, la façon dont Billie chante ça, comme une femme qui caresserait les cheveux de son homme à la lueur douce de la lampe. »
Le documentaire vaut le coup d’œil-oreille et on ne peut que vous inviter, en attendant la sortie du DVD de « Billie », à écouter et réécouter la Lady, qui a chanté le blues comme personne d’autre…