Ann O’aro

Longoz, disque de la semaine du Grigri du 26/10 au 01/11


Longoz (Label Cobalt/Buda Musique)

Ça commence par un morceau a cappella, ou presque: la voix d’Ann O’aro en duo majestueux, intense et solennel avec le trombone de Teddy Doris. Immédiatement, le ton est donné: la Réunionnaise oscille entre le blues déchirant à la Billie Holiday et la pureté élastique d’une Camille. Dès ce “Longoz” éponyme et inaugural, on découvre tout l’univers de la Française concentré en quelques minutes: la force du silence pour combattre les silences, la puissance des ombres pour faire fuir les fantômes, la mélodie du créole pour construire son identité.

Pour faire le silence, il y a deux solutions crier pour faire peur ou chuchoter pour obliger l’auditeur à tendre l’oreille. Longoz choisit la seconde option. Dans une époque où la musique est accro au feel good, Ann O’aro détonne. Ses textes ne sont pas biberonnés aux “Je t’aime, Tu me manques, Allons faire la fête”. Au contraire, ils évoquent des thèmes durs, sensibles, intimes, qui sont d’ordinaire plutôt réservés au cercle de la littérature. La Réunionnaise fait entrer dans la chanson “son combat pour la décolonisation du corps” comme le dit très joliment le texte de présentation du disque.

Deux ans après un premier album déjà très réussi et sobrement baptisé Ann O’aro, la Réunionnaise muscle son jeu en le rendant encore plus radical et riche

Dans Longoz, il est donc question d’alcoolisme, de violences sexistes ou d’inceste. Et si la musique d’Ann O’aro se veut minimaliste (en plus du trombone, elle s’accompagne seulement des percussions de Bino Waro), son message est plus proche du cri, comme le laisse supposer la pochette torturée. Deux ans après un premier album déjà très réussi et sobrement baptisé Ann O’aro, la Réunionnaise muscle son jeu en le rendant encore plus radical et riche. En plus de creuser une certaine idée du maloya, Longoz s’aventure en terres balkaniques (“Pik Drwat”) et même zouk (“Talon Malgash”).

C’est justement ce qui rend ce disque aussi fascinant: il est aussi “jazz” que “folk”, aussi “folk” que “jazz”. A une époque, il aurait été classé dans le rayon fourre-tout de la “world” qui servait à désigner tout ce qui n’était pas la “pop occidentale”. Ce qui pourrait être une facilité se révèle ici parfaitement juste: dans Longoz, Ann O’aro arpente son monde intime et ses mondes musicaux pour inviter le monde à enfin changer de disque.

Mathieu

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Comme un je-ne-sais-quoi de très français dans un jazz marqué par la nouvelle génération anglaise pour le quintet Naïram de Jasmine Lee qui sort un premier opus inspiré des Nerija, SEED Ensemble ou encore Maisha. Mais un opus qui parvient à s’en affranchir aussi, en particulier par le jeu du flutiste Alexandre Aguilera, pour offrir un ménage à 3 réussi entre improvisation, spiritual jazz et jazz métissé.

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À paraître sur le label Light in the Attic Records, Even the Forest Hums : Ukrainian Sonic Archives 1971-1996 compile des musiques ukrainiennes de l’ère soviétique à la période post-URSS. Si la promesse, de mettre en lumière des morceaux rares de folk, rock, jazz et d’électronique, est aussi bonne que les deux premiers extraits alors vivement la sortie complète le 18 octobre.

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