HA Chu (Def Pressé)
Longtemps le mystère a plané autour de Pan Amsterdam comme la brume autour d’un pét’ en milieu confiné. Qui était ce rappeur sorti de nulle part en 2018 avec le fascinant The Pocket Watch? C’était d’ailleurs les éléments de discours officiels autour du disque hébergé par le label anglais Def Pressé: ce type avait été retrouvé amnésique, perdu sur la côte à Miami. Une seule certitude: le bonhomme devait venir des Etats-Unis puisque son accent évoquait Brooklyn, Manhattan ou le New Jersey. Quelques mois plus tard, nouvel EP, nouvel uppercut. Et Elevator Music, Vol. 1 épaississait encore le brouillard Pan Amsterdam. Et pour cause: l’énigmatique rappeur se révélait pote d’Iggy Pop et Open Mike Eagle.
Avec le temps, on a compris que derrière cet alias aux allures de compagnie aérienne hollandaise se cachait un trompettiste-chanteur nommé Leron Thomas. Un jazzman pur jus qui avait joué avec la crème new-yorkaise (Charles Tolliver, Jason Moran, Bilal), mais aussi avec la star Lauryn Hill, l’Anglaise Zara McFarlane ou les Français GUTS et Florian Pellissier. Bref, un type bien installé dans le monde de la note bleue et affiliés. Pourtant, à un moment, Leron Thomas en a eu marre de la jazzosphère. Il a eu l’impression que pour percer dans le microcosme des clubs new-yorkais, il valait mieux être fin politicien que musicien malin (il l’explique en détail sur “The New York Hustle” ou dans cette très belle interview ici même).
Sombre, emballant et mouvementé, Pan Amsterdam condense la noirceur de MF Doom, l’élasticité d’un Tricky et l’esprit des poètes de la Beat Generation
Il faut toujours avoir ce contexte en tête pour comprendre les réflexions sur le jazz et son milieu qui abondent dans ce deuxième LP de Pan Amsterdam, son doppelgänger hip-hop. On les retrouve à la fois dans les lyrics bien sûr, mais aussi dans les interludes parlées qui parcourent HA Chu comme des saynètes de film de Jim Jarmusch. C’est ce qui permet aussi de comprendre l’omniprésence de la trompette dans le rap de Leron Thomas. Et c’est ce qui lui donne aussi une couleur si particulière entre la funk vénéneuse et le jazz nordique, du “Trix” liminaire au “Script” final.
Sorte de journal de tournée du trompettiste-rappeur avec son nouveau meilleur ami Iggy Pop (il a été le D.A. de Free), HA Chu affiche aussi le carnet d’adresses maousse costaud et fort éclectique de Pan Amsterdam: on y retrouve le sens du tube de GUTS (“Carrot Cake”), les prods aquatiques de Mr. Shin (“Kun G Chicken”) ou le rap ciselé de de Malik Ameer (“Dried Saliva”). Sans oublier les voix de Jason Williamson (Sleaford Mods), Jimi Goodwin (Doves) et, bien sûr, Iggy Pop dans une courte apologie du thé. Sombre, emballant et mouvementé, Pan Amsterdam condense la noirceur de MF Doom, l’élasticité d’un Tricky et l’esprit des poètes de la Beat Generation pour obtenir un disque addictif et troublant comme un space cake en hiver.