Pour bien commencer l’année, on ne fait pas un mais quatre disques de la semaine, histoire de se mettre bien dès le départ. Et puis, pour tout vous dire, ces quatre compilations tournent en boucle dans nos têtes, nos coeurs et nos casques depuis des semaines. On se devait donc de les partager avec vous. Car plus que des recueils de pépites, ce sont aussi et surtout quatre gros pans d’Histoire(s) qui ressurgissent avec panache.
Erick Cosaque
Chinal Ka 1973 -1995
Label: Heavenly Sweetness
La grosse claque de ces dernières semaines. Véritable légende du Gwo-Ka et (donc) de la Guadeloupe, Erick Cosaque est, n’ayons pas peur des mots, un immense musicien qui mériterait bien plus d’attention(s) de ce côté de l’Atlantique. C’est heureusement chose faite avec cette magnifique rétrospective chapeautée par Les Mains Noires et le label Heavenly Sweetness. On est éblouis par la modernité de ces chansons qui créolisent traditions antillaises, jazz, spoken word, funk, chants de lutte ou hip-hop avec un naturel confondant. Comme si ces musiques avaient toujours fait ménage commun et qu’il nous fallait des oreilles de 2020 pour s’en apercevoir. Aux côtés de groupes comme X7 Nouvelle Dimension, ou Les Voltages 8, Erick Cosaque a sculpté une vraie fusion antillaise qui s’échappe aux clichés comme l’anguille aux mains. Et puis, au-delà de la puissance sonique de ces vingt ans de chansons-transe(s), il y a aussi tout un discours de la négritude qui s’entend sur ce Chinal Ka 1973 -1995. “Dans ma peau ténébreuse, mon âme est très heureuse” affirme Erick Cosaque sur “L’Homme Noir”. Du spiritual jazz dans le sens le plus profond du terme.
June Tyson
Saturnian Queen Of The Sun Ra Arkestra
Label: Modern Harmonic
Le Sun Ra Arkestra, on ne va pas se mentir, n’était très à cheval sur la parité. Toujours en activité sous la direction du saxophoniste Marshall Allen, il ne l’est pas beaucoup plus aujourd’hui. D’où l’importance de cette compilation qui met en lumière la (quasi) seule femme de l’histoire de cette orchestre ovniesque dans tous les sens du terme – parce qu’il joue avec l’esthétique cosmique et parce qu’il peut se faire bop, free, swing, funk, électro, avant-gardiste, populaire, mélodieux ou bruitiste. Tout comme June Tyson, cette chanteuse, violoniste, danseuse et costumière qui fut l’un des membres-clés de l’Arkestra entre 1968 (année où elle rencontre le manitou Sun Ra) et 1992 (année de sa disparition). Sur ces 17 titres aussi solaires que lunaires, on la retrouve surtout au chant, tour à tour interprète habitée, soulwoman au timbre éraflé ou crooneuse afro-futuriste. Bref une fascinante anthologie autant qu’un acte salutaire de (re)découverte historique.
Mogadisco
Dancing Mogadishu (Somalia 1972-1991)
Label: Analog Africa
Comme souvent avec Samy Ben Redjeb et Analog Africa, l’art de la compilation s’apparente à l’art de l’enquête, voire de l’archéologie. Fasciné par un groupe somalien qu’il a réédité (le génial Dur-Dur Band), le fondateur du précieux label allemand est parti à Mogadiscio pour découvrir d’autres sons made in Somalia. Il se retrouve alors dans les archives de l’une des grandes radios nationales du pays, Radio Mogadisho. Là-bas, le responsable du lieu, le colonel Abshir lui file une pile d’enregistrement non identifiés qu’il décrit comme étant «principalement instrumentale et étrange». Une mine d’or pour Analog Africa qui peut alors se lancer dans ce panorama d’une époque à la fois trouble politiquement et bénie musicalement. Captivés par la funk, l’afrobeat, le disco ou le reggae naissants, ces groupes vivront leur passion dans des conditions précaires: enlèvements, électrocutions ou enregistrements dans des sous-sols seront leur quotidien. Un demi-siècle plus tard, les chansons de Mukhtar Ramadan Iidi, Bakaka Band ou Iftin Band offrent toujours un groove complètement addictif et singulier.
Congo Revolution
Revolutionary and Evolutionary Sounds From The Two Congos 1955 – 62
Label: Soul Jazz Records
Peut-on parler d’anthologie parfaite? On n’en est pas loin puisque les Anglais de Soul Jazz Records ont concentré en 21 titres l’âge d’or de la rumba congolaise. En quelques années, de 1955 et 1962, le Congo aura connu deux révolutions, l’une politique et l’autre musicale. Et cette compilation cherche à rappeler à quel point les deux se sont mêlées, répondu et nourries. Plus que la bande son de l’indépendance des deux Congos, la rumba – ardente, changeante, élastique – a aussi participé à écrire l’Histoire. Résultat, sur Congo Revolution, on retrouve bien évidemment les Maîtres Jedi du genre comme Franco & OK Jazz, Rock-A-Mambo, Wendo Kolosoy ou African Fiesta. Mais aussi des titres aux accents politiques de l’African Jazz comme “Ngonga Ebeti Independance”, “MNC Uhuru” ou “Vive Patrice Lumumba”. Le tout illustré par de splendides clichés du photographe congolais Jean Depara. Jamais best of n’aura aussi bien rempli sa tâche.