Pour la pochette de leur troisième nouvel album, les Colombiens de Los Pirañas ont clairement cherché à réinventer les oeuvres les plus apocalyptiques de Jerome Bosch. Bordélique, ardente et tripante, la musique de cet Historia Natural compte, il est vrai, pas mal de points communs avec l’inclassable et inquiétant peintre hollandais du XVe siècle: il y en a dans tous les sens (à l’endroit, à l’envers et au contraire), il y a de l’humour effrayant et de la terreur joyeuse, il y a de la prophétie faussement kitsch dans l’affaire (tant leurs effets et leurs synthés ont quelque chose de futuriste mais dystopique).
Tout se passe comme si le guitariste Eblis Alvarez, le bassiste Mario Galeano et le batteur Pedro Ojeda lançaient des pistes puis changeaient d’avis puis revenaient en arrière avant de repartir autre part. Tout en assumant tous ces va-et-vient. Figures-clés de la foisonnante nouvelle scène colombienne (Meridian Brothers, Frente Cumbiero ou Romperayo, c’est eux), le trio s’éclate à jouer faux, à jouer fort, à jouer fou. Leur noise latin, leur cumbia psyché, leur dub désaxé, leur exotica azimutée, leur punk tropical, ils le font volontairement valser entre le rêve et le cauchemar.
Il existe un mot pour définir ces poissons carnivores: c’est l’adjectif bizarre. Mot qu’on peut traduire en espagnol par raro. Et c’est pour ça qu’on aime tant Los Pirañas au Grigri parce qu’il n’y en a pas (plus?) beaucoup des spécimens comme eux. Il faut les protéger, il faut les chérir, il faut les chouchouter: ils font honneur à la diversité de l’éco-système musical. Le jour, il ne restera que des poissons rouges en aquarium, on sera mal.